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Les autorités sanitaires françaises et du monde entier s’alarment des conséquences désastreuses des overdoses d’opioïdes. Certains pointent le manque d’information, mais une récente étude américaine accable le rôle du marketing des laboratoires, directement associé à la mortalité par surdosage. Encore un scandale de Big Pharma ?

Une boîte de morphine des laboratoires Lavoisier. (c) Psychoactif.com.

Les opioïdes qui tuent

Le timing ne pouvait pas être aussi parfait, si on peut dire. Au même moment que les journaux français s’émeuvent des records d’utilisation des opioïdes dans le traitement et le soulagement des douleurs (chroniques, aiguës ou ponctuelles) en France, avec les décès par overdoses qui ne cessent d’augmenter, Envoyé Spécial publie un reportage accablant sur ce sujet tragique.

Toujours dans le même laps de temps, les États-Unis s’alarment également de cette catastrophe sanitaire. Les chiffres sont sans commune mesure avec la France.

Aux USA, 115 Américains décèdent tous les jours à cause d’une overdose ou d’un surdosage des antalgiques aux opioïdes, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui vient de publier un rapport sur ce sujet (à lire ici).

Selon l’ANSM, cette crise sanitaire américaine des opioïdes s’articule principalement à cause des produits illicites et de synthèses. Ce que l’ANSM oublie de dire, c’est bien le rôle que pourraient avoir les laboratoires dans ces nombreux décès.

Ce sera le coeur du sujet de cet article.

Pour autant, la situation en France n’est absolument pas la même qu’aux USA. Les chiffres sont totalement différents, mais interpellent.

L’Agence du médicament nous rappelle que les décès liés à la consommation d’opioïdes ont augmenté de 1,3 à 3,2 par million d’habitants entre 2000 et 2015.

Trois Français décèdent tous les jours à cause de l’utilisation de ces antalgiques selon le reportage d’Envoyé Spéciale. Ce sont plus d’un millier de décès par an, et les opioïdes sont la principale cause de décès par overdose ou surdosage en France.

L’ANSM, plus prudent, parle d’au moins “4 décès par semaine” dans son dernier état des lieux de la situation.

Le tramadol est de loin l’antalgique aux opioïdes le plus utilisés et qui enregistre le plus de problèmes d’usage à cause de la dépendance et de l’addiction qu’il génère.

Les prescriptions de tramadol en France ont augmenté de 68 % entre 2006 et 2017. Pour l’oxycodone, l’augmentation est spectaculaire : + 738 % de prescriptions sur la même période, avec une consommation aujourd’hui proche de celle de la morphine (l’un des plus forts que nous avons).

En France, la consommation d’opioïdes semble être dans un tournant sans précédent puisque les femmes sont devenues les utilisatrices majoritaires. En 2015, 6 personnes sur 10 qui prenaient des opioïdes étaient des femmes pour les opioïdes faibles et forts selon l’ANSM.

D’après le reportage d’investigation d’Envoyé Spécial, ni les patients ni les soignants ne seraient réellement au courant des risques avec l’utilisation de ces opioïdes.

Autre point majeur soulevé par l’Agence française du médicament, mais la quasi-totalité des opioïdes forts et faibles sont prescrits en France par les médecins généralistes (89 % et 86 % respectivement).

Les médecins généralistes sont donc au coeur, encore une fois, d’un système de prescription qui montre ses limites et ses dangers sur la santé publique.

Mais si Big Pharma, ou plus pudiquement les laboratoires pharmaceutiques qui produisent ces antalgiques avaient un rôle dans cette histoire ?

Et si la mortalité par overdose ou surdosage était liée au marketing des labos ?

Justement, ce sont les révélations d’une étude américaine publiée exactement au même moment que la France s’alarme de cette situation.

Du marketing et des morts par overdose

On le sait fort bien, le marketing et la publicité des laboratoires pharmaceutiques auprès des médecins, les principaux, prescripteurs de médicaments – et d’antalgiques à opioïdes, est une stratégie payante pour améliorer les prescriptions, et donc les revenus.

Améliorer ou augmenter les prescriptions. Je le dénonce avec fermeté dans mon dernier livre “Santé, mensonges et (toujours) propagande” (Thierry Souccar éditions).

Il suffit de recevoir un seul sandwich gratuit de la part d’un laboratoire pharmaceutique pour voir les prescriptions grimper.

Avec deux ou trois sandwichs dans la semaine, et vous verrez le chiffre d’affaires de votre société s’emballer. C’est donc surtout la fréquence de ces gestes et attentions qui marquent les prescripteurs de médicaments.

Les sommes aussi, les contrats surtout. Avoir des contrats d’orateurs ou de conférencier pour une firme pharmaceutique augmentera aussi le niveau de prescription d’un médicament, même si ce dernier est plus cher et pas aussi efficace qu’un concurrent.

Côté opioïdes, on sait également que ce système pervers fonctionne. La prescription des opioïdes est étroitement associée au marketing et à la pression des laboratoires auprès des médecins.

Ces résultats sont connus de longue date, et remis au goût du jour en 2018.

Sauf qu’aujourd’hui, une nouvelle étude est allée encore plus loin dans le rôle des laboratoires. Si les précédentes études s’arrêtaient à l’association entre prescription et marketing des laboratoires, cette dernière s’intéresse aussi… aux décès par overdose.

Les résultats de cette nouvelle étude prouvent donc une terrible association entre les avantages financiers reçus par des médecins américains, et surtout leur fréquence, avec le taux de prescription d’opioïde et de mortalité par overdose.

C’est une association, par une relation de cause à effet.

Mais elle pointe du doigt ce que je dénonce, avec bien d’autres personnes, depuis bien longtemps: les ravages de liens d’intérêts, et du marketing agressif des laboratoires pour entretenir des liens avec les professionnels de la santé.

Les auteurs de cette étude terminent leur publication avec ces mots, remplis de bon sens :

“Néanmoins, clarifier davantage les limites de l’influence des sociétés pharmaceutiques sur les prescriptions des médecins devrait être un élément essentiel pour éviter une aggravation de la crise actuelle.”

Une situation déjà extrêmement grave. Entre 2013 et 2015, les auteurs de cette étude ont identifié plus de 434 000 paiements à l’attention de plus de 67 000 médecins dans plus de 2 200 comtés américains.

Nombre de paiements réalisé tous les mois aux professionnels de santé par 1000 habitants des comtés américains.

Ces paiements atteignent 40 millions ($ US), soit 35 millions d’euros.

Sur l’ensemble des médecins américains, au moins un médecin sur 12 a reçu des informations publicitaires et a été touché par du marketing concernant les opioïdes.

Ce chiffre bondit quand on s’intéresse aux médecins de famille. 20 % d’entre eux ont été touchés par des campagnes de communication sur ces antalgiques responsables d’une grave crise sanitaire aux USA.

La France n’est pas épargnée

Le marketing agressif et poussé des laboratoires auprès des prescripteurs est devenu l’une des stratégies les plus utilisées par l’industrie pharmaceutique.

Les départements de Recherche et Développement (R et D) ne sont plus les secteurs qui rapportent le plus d’argent aux firmes.

Aujourd’hui, les laboratoires misent sur la proximité qu’ils peuvent établir avec les médecins, une proximité qui se construit avec des sommes ridicules. Aussi ridicule qu’un café ou un sandwich offert, mais qui ont de réels impacts sur les comportements des professionnels de santé.

Le législateur a tenté d’endiguer cette déferlante d’avantages et de rémunérations en créant des garde-fous… qui se sont révélés peu efficaces.

La base Transparence Santé du Gouvernement n’a strictement rien changé dans la nature des relations entre professionnels de santé et laboratoires.

Les relations ont peut-être même empiré, en donnant un sentiment vicieux d’impunité quand toutes les déclarations sont à jour.

La Haute autorité de santé, et bien d’autres autorités, sont régulièrement épinglées pour manquement aux règles élémentaires de la gestion des liens d’intérêts.

Nous en avons eu un terrible exemple avec la recommandation récente sur la prise en charge des dyslipidémies. Des experts “oublient” qu’ils ont travaillé pour des laboratoires, et la HAS “oublie” de vérifier la base gouvernementale.

Cela fait beaucoup d’oublis pour un sujet suffisamment important.

Il y a fort a parié que l’on retrouverait la même association en France entre le nombre et le montant des avantages reçu par des professionnels de santé et le niveau de prescription des opioïdes, et de leurs ravages par overdose.

Ce scandale qui éclate de nouveau à la figure de toute la population française – et américaine – est encore une fois un signal dramatique pour fortement encadrer les relations entre les professionnels de santé et les laboratoires pharmaceutiques.

Le temps est fini de croire que nous vivons dans un monde de Bisounours, où tous les professionnels de santé ont une maîtrise parfaite et absolue de leur libre arbitre.

Il est fini ce temps où on estime que la qualité de l’expertise publique et de celle d’un professionnel de santé se détermine par la longueur de ces liens d’intérêt. Pourtant, cette position a été éminemment défendue par notre Ministre des solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn…

Quand allons-nous enfin prendre conscience de ce véritable problème de santé publique ?

Vous en pensez quoi ? Vous avez lu mon article sur les liens d’intérêt de la Ministre de la Santé ?

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6 commentaires
  1. Bonjour Jérémy et bonjour à tous
    Je suis “consommatrice” de ces opioïdes, pour des maladies très douloureuses : tramadol et oxynorm. C’est très addictif. J’ai essayé plusieurs fois de m’en passer, je suis alors comme une loque ambulante, jambes coupées, une chape de fatigue qui me tombe dessus, impossible de me bouger. Et au final j’en prends.
    Rassurez vous, un seul le matin et si besoin 2 ou 3 fois par mois de l’oxycontin. Ce n’est pas beaucoup, mais suffisamment pour être droguée. Ça fait plus de 15 ans.
    Maintenant je suis prise en main par une kiné extraordinairement douée (j’ai 65 ans) et par une médecin qui pratique la médecine chinoise.
    Et j’ai décidé de diminuer progressivement ce tramadol qui tue et qui me rend dépendante. Donc je vais chez ma médecin pour lui demander de me prescrire des dosages plus doux peu à peu.
    J’espère m’en sortir.
    Il faut savoir que je suis “bien” avec ce tramadol, je fais plein de choses, je marche beaucoup, et j’ai la pêche. Ça me permet tout simplement de vivre…. parce que je me considère comme droguée.
    J’ai vu le reportage “envoyé spécial” sur Fr2, j’ai eu peur, très peur.

    1. Merci Corinne de ce témoignage. J’espère que tout pourra s’arranger pour vous. L’utilisation de ces médicaments répondent à une véritable situation d’urgence et handicapante. Le problème vient dans la gestion des prescriptions et des patients. Les risques d’overdoses notamment. Il y a peut-être un manque de sensibilisation et d’alternatives validées scientifiquement pour essayer de limiter cette dépendance. Tous mes encouragements dans votre combat.

  2. Pour des problèmes de fortes douleurs j’ai pris du tramadol et c’st vrai que je me sentais bien…à aucun moment les différents médecins prescripteurs m’ont alertée sur les risques de dépendance.Quand on a mal on ne regarde même pas la notice…Après l’avoir lue j’ai cessé d’en prendre; pour ne pas être tentée j’ai jeté les boites. Le comble c’est que je fais des conférences et que pendant des années j’ai alerté sur les dangers du paracétamol…Des jeunes se suicident avec 10 comprimés de ce médicament ci en Espagne.
    Merci pour votre blog

    1. Bonjour,
      C’est sûr que personnellement j’ai ce qu’il faut dans ma pharmacie perso pour mettre fin à ma vie !!! ….. si un jour j’en avais l’intention ! c’est incroyable de délivrer des médicaments sans s’assurer de ce qu’il en reste chez soi.

  3. Merci Jérémy pour cet excellent article.
    Bon courage à vous, Corinne, qui témoignez ici, vous y arriverez.
    Et, oui, Benoit Janine, un de mes proches (âgé de 26 ans) est dcd pour avoir pris trop de paracétamol en guise d’antidouleur pour une “simple” gastro.
    Salut à toustes.

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