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Focus / 2006

Le secteur de l'élevage est soumis à un processus complexe de transformations techniques et géographiques

Les impacts de l'élevage sur l'environnement

L'enjeu consiste à concilier deux demandes: les produits animaux et les services environnementaux...

Un nouveau rapport de la FAO affirme que l'élevage est l'une des causes principales des problèmes d'environnement les plus pressants, à savoir le réchauffement de la planète, la dégradation des terres, la pollution de l'atmosphère et des eaux et la perte de biodiversité. A l'aide d'une méthodologie appliquée à l'ensemble de la filière, le rapport estime que l'élevage est responsable de 18 pour cent des émissions des gaz à effet de serre, soit plus que les transports. Toutefois, ajoute-t-il, le secteur peut aussi fournir une contribution importante à la résolution de ces problèmes, en apportant des améliorations substantielles à un coût raisonnable.

Sur la base des données les plus récentes disponibles, Livestock's long shadow prend en compte les impacts directs du secteur de l'élevage, ainsi que les effets sur l'environnement des changements d'utilisation des terres qui s'y rapportent et de la production de cultures fourragères destinées aux animaux. Le rapport constate que la croissance de la population et des revenus dans le monde entier, à laquelle vient s'ajouter l'évolution des préférences alimentaires, stimulent un accroissement rapide de la demande de viande, de lait et d'oeufs, tandis que la mondialisation alimente le commerce d'intrants et d'extrants.

L'élevage et les ruraux pauvres
En dépit de ses impacts environnementaux de grande envergure, l'élevage n'est pas une force principale dans l'économie mondiale, engendrant à peine 1,5 pour cent du PIB total. Mais le secteur de l'élevage est socialement et politiquement très important dans les pays en développement: il nourrit et fait vivre un milliard de pauvres dans le monde, en particulier dans les zones arides, où les animaux d'élevage sont souvent la seule source de moyens d'existence. "Comme la production animale est une expression de la pauvreté des personnes qui n'ont pas d'autre choix", indique la FAO, "le nombre considérable de gens s'occupant d'élevage faute d'autres possibilités, en particulier en Afrique et en Asie, est un enjeu important pour les responsables politiques."
Or, le secteur de l'élevage est soumis à un processus complexe de transformations à la fois techniques et géographiques. La production se déplace de la campagne vers les zones urbaines et péri-urbaines, et vers des sources d'alimentation animale, qu'il s'agisse de zones de cultures fourragères ou de plateformes de correspondance d'où les aliments pour animaux sont ensuite expédiés. On assiste outre à une redistribution des espèces, avec une croissance accélérée de la production de porcins et de volailles (essentiellement en exploitations industrielles) et un ralentissement de celle de bovins, ovins et caprins qui font souvent l'objet d'élevages extensifs. Aujourd'hui, 80 pour cent de la croissance du secteur de l'élevage est le fait des systèmes industriels. Compte tenu de ces changements, indique le rapport, l'élevage empiète sur les ressources naturelles limitées en terres et en eau.

Déforestation, gaz à effet de serre. Le secteur de l'élevage est de loin le plus gros utilisateur anthropique de terres. Le pâturage occupe 26 pour cent de la surface émergée de la terre, tandis que la production fourragère requiert environ un tiers de toutes les terres arables. L'expansion des parcours pour le bétail est un facteur clé de déboisement, en particulier en Amérique latine: quelque 70 pour cent de terres boisées de l'Amazonie servent aujourd'hui de pâturages, et les cultures fourragères couvrent une grande partie du reste. Environ 70 pour cent de tous les pâturages des zones arides sont considérées comme dégradées, surtout à cause du surpâturage, de la compaction des sols et de l'érosion imputables aux activités de l'élevage.

Par ailleurs, le secteur de l'élevage a un rôle souvent méconnu dans le réchauffement de la planète. A l'aide d'une méthodologie appliquée à l'ensemble de la filière (voir encadré ci-dessous), la FAO a estimé que l'élevage est responsable de 18 pour cent des émissions des gaz à effet de serre, soit plus que les transports ! Il représente 9 pour cent des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, dont l'essentiel est dû à l'expansion des pâturages et des terres arables pour les cultures fourragères, et engendre des émissions bien supérieures d'autres gaz ayant un potentiel de réchauffement de l'atmosphère: 37 pour cent de méthane anthropique, pour la plupart provenant de la fermentation entérique des ruminants, et 65 pour cent d'hémioxyde d'azote, découlant principalement du fumier.

Nouvelle mesure des gaz à effet de serre

Les scientifiques associent généralement leurs estimations des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique à des sources comme les changements d'utilisation des terres, l'agriculture (y compris l'élevage) et les transports. Les auteurs de Livestock's long shadow ont adopté une démarche différente, en additionnant les émissions dans toute la filière de l'élevage- depuis la production fourragère (qui comprend la production d'engrais chimiques et la déforestation pour la conversion en pâturages et en cultures fourragères, et la dégradation des pâturages), la production animale (y compris la fermentation entérique et les émissions d'hémioxyde d'azote du fumier) aux émissions de dioxyde de carbone durant la transformation et le transport de produits animaux.
La production animale a de fortes retombées sur les disponibilités en eau, car elle consomme plus de 8 pour cent des utilisations humaines d'eau à l'échelle mondiale, essentiellement destinée à l'irrigation des cultures fourragères. Il est attesté que c'est la plus grande source sectorielle de polluants de l'eau -principalement déchets animaux, antibiotiques, hormones, produits chimiques des tanneries, engrais et pesticides utilisés pour les cultures fourragères, et sédiments des pâturages érodés. Si l'on ne dispose pas de chiffres mondiaux, on estime qu'aux Etats-Unis, l'élevage et l'agriculture fourragère sont responsables de 37 pour cent de l'utilisation de pesticides, de 50 pour cent de celle d'antibiotiques, et d'un tiers des charges d'azote et de phosphore dans les ressources en eau douce. Le secteur engendre aussi près des deux tiers de l'ammoniac d'origine anthropique, qui contribue sensiblement aux pluies acides et à l'acidification des écosystèmes.

La quantité d'animaux destinés à la consommation représente également un péril pour la biodiversité de la Terre. Les animaux d'élevage constituent environ 20 pour cent de la biomasse animale terrestre totale, et la superficie qu'ils occupent aujourd'hui était autrefois l'habitat de la faune sauvage. Dans 306 des 825 écorégions terrestres identifiées par le Fonds mondial pour la nature (WWF), les animaux de ferme sont identifiés comme "une menace", tandis que 23 des 35 points chauds du monde pour la biodiversité de Conservation International - caractérisés par de graves niveaux de perte d'habitats -ressentent de l'élevage.

Deux demandes. Selon la FAO, "l'avenir de l'interface élevage-environnement dépendra de la manière dont nous résoudrons l'équilibre entre deux demandes: de produits animaux pour l'alimentation, d'une part, et de services environnementaux, d'autre part ". La base de ressources naturelles n'étant pas infinie, la considérable expansion du secteur de l'élevage nécessaire pour répondre à la demande croissante doit être affrontée, tout en réduisant sensiblement son impact sur l'environnement.

Une meilleure efficacité d'utilisation des ressources sera la clé pour "diminuer l'ombre portée par l'élevage". Même s'il existe une multitude d'options techniques efficaces- en matière de gestion des ressources, de production agricole et animale, et de réduction des pertes après récolte (voir encadré ci-dessous), les prix actuels des terres, de l'eau et des ressources fourragères utilisées pour la production animale ne traduisent pas les véritables limitations de ressources, créant des distorsions qui n'incitent guère à leur utilisation efficace. "Ceci porte à la surexploitation des ressources et à de grosses inefficacités dans le processus de production", dit la FAO. "Les politiques futures de protection de l'environnement devront donc introduire une tarification adéquate sur le marché pour les principaux intrants".

Action sur plusieurs fronts
Le rapport de la FAO recommande une série de mesures visant à atténuer les menaces que constitue l'élevage pour l'environnement :
Dégradation des terres: Restauration des terres endommagées par la conservation des sols, le sylvopastoralisme, meilleure gestion des systèmes de pâturage et protection des zones sensibles.
Émissions des gaz à effet de serre: intensification durable de la production agricole et fourragère pour réduire les émissions de dioxyde de carbone dues à la déforestation et à la dégradation des pâturages, amélioration de la nutrition animale et de la gestion du fumier pour réduire les émissions de méthane et d'azote.
Pollution de l'eau: meilleure gestion des déchets animaux dans les unités de production industrielle, meilleure alimentation pour améliorer l'absorption des substances nutritives, meilleure gestion du fumier et meilleure utilisation des déjections transformées sur les terres agricoles.
Perte de biodiversité: Outre la mise en oeuvre des mesures ci-dessus, amélioration de la protection des zones vierges, maintien de la connectivité entre les zones protégées, et intégration de la production animale et des producteurs dans l'aménagement du territoire.
En particulier, l'eau est largement sous-évaluée dans la plupart des pays, et le développement des marchés de l'eau et divers types de recouvrement des coûts seront nécessaires pour corriger la situation. Dans le cas de la terre, les instruments suggérés sont notamment les redevances sur le pacage, et de meilleurs mécanismes institutionnels pour un accès contrôlé et équitable. La suppression des subventions de l'élevage aura de fortes chances d'améliorer l'efficience technique - en Nouvelle-Zélande, une réduction drastique des subventions agricoles durant les années 80 ont aidé à créer une des industries d'élevage de ruminants les plus rentables et écologiques du monde.

L'élimination des distorsions de prix au niveau des intrants et des produits améliorera l'utilisation des ressources naturelles, mais pourrait ne pas suffire dans la plupart des cas. Livestock's long shadow affirme que les externalités environnementales, à la fois négatives et positives, doivent être expressément prises en compte dans le cadre stratégique. Les possesseurs de bétail qui fournissent des services environnementaux doivent être indemnisés, soit par le bénéficiaire immédiat (comme les usagers en aval qui jouissent d'une meilleure quantité et qualité de l'eau), soit par le grand public. Parmi les services qui pourraient être rémunérés figurent la gestion des terres ou les utilisations des terres qui restaurent la biodiversité, et la gestion des pâturages qui prévoit la fixation du carbone. Des mécanismes de dédommagement doivent être mis au point entre les pourvoyeurs d'eau et d'électricité et les pasteurs qui adoptent des stratégies d'aménagement des pâturages réduisant la sédimentation des réservoirs d'eau.

De même, les propriétaires de troupeaux qui rejettent des déchets dans les cours d'eau ou de l'ammoniac dans l'atmosphère, devraient payer les dégâts qu'ils occasionnent. Appliquer le principe du "pollueur-payeur" ne devrait pas présenter de problèmes insurmontables pour les contrevenants, étant donné la demande en plein essor de produits animaux.

Pression des consommateurs. Enfin, dit la FAO, le secteur de l'élevage est généralement régi par divers objectifs de politique, et les décideurs ont du mal à affronter les problèmes économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux en même temps. Le fait que tant de gens dépendent de l'élevage pour vivre limite les options de politiques disponibles, et comporte des choix difficiles et politiquement sensibles.

L'information, la communication et l'éducation joueront un rôle déterminant pour renforcer la "volonté d'agir". Forts de leur influence croissante, les consommateurs devraient être la principale source de pression commerciale et politique "pour orienter le secteur de l'élevage vers des formes plus viables à long terme", dit le rapport Livestock's long shadow. Déjà, la prise de conscience grandissante des menaces pour l'environnement se traduit par une demande croissante de services environnementaux: "Cette demande, en partant de problèmes immédiats- comme la réduction des nuisances des mouches et des odeurs - s'étendra vers des demandes intermédiaires d'air pur et d'eau propre, puis vers les préoccupations environnementales à plus longue échéance, notamment le changement climatique et la perte de biodiversité".

Retour à la campagne?

Les systèmes intensifs de production animale produisent de hauts niveaux de résidus d'azote et de phosphore et des déversements concentrés de matériaux toxiques. Or, ces systèmes sont souvent situés dans des zones où la gestion des déchets est plus difficile. La répartition régionale des systèmes intensifs est généralement déterminée non pas par des considérations écologiques mais
 
par la facilité d'accès aux marchés d'intrants et de produits, et par les coûts relatifs de terre et de main d'oeuvre. Dans les pays en développement, les exploitations industrielles sont souvent concentrées dans les contextes péri-urbains en raison de contraintes d'infrastructures.
    "Les problèmes d'environnement créés par les systèmes de production industrielle sont dûs non pas à leur grande échelle, ni à la production intensive, mais plutôt à leur position et à leur concentration géographiques," explique la FAO, qui recommande la réintégration de l'agriculture et de l'élevage, requérant des politiques qui orientent l'élevage industriel et intensif vers les zones rurales nécessitant des nutriments pour les cultures.

  • Télécharger un exemplaire du rapport Livestock's long shadow (FAO, 2006) - PDF, 5MB
  • Voir aussi Focus: Systèmes de pâturages durables, L'élevage à l'heure de la mondialisation, Commerce mondial des produits animaux, Les problèmes d'élevage en Asie, L'élevage et les besoins de l'être humain et Elevage et environnement
Publié en novembre 2006
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