Le snobisme sans gluten (2)

Bon, je reprends les choses où je les avais laissées ici.

Pas de nouvelles de Apie, je suis presque déçu, a-t-il seulement reçu l’ouvrage en question (partiellement mea culpa, s’il ne lit pas l’anglais, j’aurais pu lui envoyer la version française, canadienne en fait), je pense que je ne le saurais jamais, il a du finir sur un bureau au mieux…

De toute façon, cet ouvrage est déjà dépassé, et cocorico, c’est un français, Julien Venesson, cette fois, qui reprend le flambeau, là où les docteurs Seignalet ou Davis s’était arrêtés, en publiant Gluten comment le blé moderne nous intoxique.

blé moderne intoxiqueJe l’ai lu très rapidement, en quelques heures la nuit, finissant par bien connaitre le sujet, à force. Je crois bien qu’il s’agit de l’ouvrage le plus juste et scientifique sur le sujet. Exit la théorie de l’encrassement de Seignalet, qui prête à sourire plutôt qu’autre chose. Exit le recyclage de la théorie insulinique reprise par le docteur Davis, qui était à mon sens le gros point faible de Wheat Belly*. On a là donc un livre très bien écrit (j’ai été très agréablement surpris), plein de science, et pédagogique : des schémas explicatifs étaient vraiment bienvenus pour certains mécanismes. Parmi les points forts, je citerais l’explication de la polyploïdie du blé (1), le mécanisme de la perméabilité intestinale via le relais d’une hormone clé  – la zonuline- (2), et aussi pourquoi on ne digère jamais la gliadine, le composé du gluten  – en fait une classe de molécules, on l’oublie souvent – le plus problématique (3).

(1) l’histoire du blé moderne est fait de multiples croisements – hybridations – avec de multiples céréales cousines (il y a de fait, plusieurs blés, plusieurs épeautres), nous nous retrouvons grosso modo avec l’ancêtre du blé moderne, le bien nommé triticum aestivum, qui lui, va être l’objet d’expérimentations génétiques plus ou moins douteuses grâce à un certain Norman Borlaug à qui l’on doit le monstre génétique actuel et qui est suspecté de biens des maux.

(2) Il se dit que l’intolérance au gluten est due à d’autres facteurs que le gluten en soit. C’est vrai. Mais on ne doit pas oublier que si la perméabilité intestinale est favorisé par l’activation de la zonuline, les jonctions intestinales se desserrent, laissant passer des protéines (et plus) indésirables dans le sang, et à partir de là, les maladies auto-immunes peuvent démarrer. C’est là que les ennuis commencent, et il semble bien que le gluten a cette capacité à activer la zonuline.

(3) C’est un point que je n’arrivais pas à comprendre jusque là : je n’ai pas l’impression que tout les gens qui mangent du pain souffrent, même en silence. La gliadine n’est certes pas digérée par notre arsenal enzymatique et est expulsée via les selles dans le meilleur des cas, mais certaines personnes ont soit des intestins solides (non poreux), soit des habitudes alimentaires saines (même si non paléo, je vous vois venir petits canailloux) qui minimisent largement l’impact du blé, au point d’en devenir pratiquement bénin : les populations méditerranéennes, par exemple ?

Gluten Comment le blé moderne nous intoxique passe en revue les pathologies liées au blé (et au gluten), comme la maladie de Crohn, la spondylarthrite ankylosante (à vos souhaits), le colon irritable, articulations douloureuses, le vieillissement, ou même l’autisme : à ce sujet lire cet article de lanutrition.fr, qui fait largement écho à mon article fait de bric et de broc sur le régime GAPS.

Cet ouvrage est largement expurgé des tendances pseudo-scientifiques qui entourent les écrits de Seignalet ou de Davis. L’épilogue (Conclusion : ce livre n’est pas scientifique) est éloquent, je soupçonne Julien Venesson d’avoir compris la relégation des régimes sans gluten à un trip new age de bonnes femmes en manque de sophismes naturalistes (bon ça m’arrive aussi, j’en ai conscience, mais je ne suis qu’un modeste blogueur qui s’interroge 😉 ).

Parmi les critiques que j’exprimerais, c’est le peu de place accordée à l’agglutinine de germe de blé. Cette lectine ne semble pas inoffensive, et j’aimerais en savoir plus. Je ne m’attendais pas non plus aux références liées aux régimes paléo (edit : en fait plutôt au régime des chasseurs-cueilleurs, pour être plus précis), il est possible de condamner le blé moderne en réhabilitant les anciennes espèces de blé. Pas un point négatif, mais je ne crois pas qu’il était nécessaire de surfer sur la vague. Encore que citer S. Boyd Eaton ou Staffan Lindeberg, on a vu pire.

Ah, et je tiens à justifier mon avatar : certaines contradictions aux ouvrages cités, histoire d’ajouter quelque dissonance désagréable  ne fait pas de mal, et suscite la réflexion, j’ai relayé sur twitter ces quelques liens.

Le plus dérangeant : Pourquoi Davis est dans le champ (de blé) : les tritiques critiques de ce chercheur canadien me semblent valables et me mettent mal à l’aise. Je crois que Venesson fait la même interprétation de certaines études citées par Davis (celles concernant la naloxone ? Je ne retrouve pas la page, parfois l’application kindle pour retrouver les mots-clés sur les ebooks est utile), ce qui serait problématique. Certains arguments me dérangeaient dans Wheat Belly, et ils sont bien démontés. A quoi bon revaloriser le petit épeautre si c’est pour se raccrocher à la vieille antienne des céréales coupables de l’état de santé défaillant des premiers agriculteurs, c’est un peu se tirer une balle dans le pied.

L’étude qui pourrait tout remettre en question ? L’auteur ne semble pas lier augmentation de la maladie céliaque à l’augmentation du contenu en gluten. Bizarre, et complètement en contradiction avec ce que j’ai pu lire par ailleurs, à creuser.

La piste enzymatique : tout un courant de praticiens, surtout dans les pays anglo-saxons recommandent l’élimination temporaire des glucides complexes qui seraient mal digérés dans l’intestin grêle, et fermenteraient plus que de raison dans le sigmoïde. Glucides Spécifiques (Elaine Gottschall dans Breaking the vicious cycle), le régime GAPS (en fait une variation du précédent), les régimes pauvres en FODMAPS en général. Une étude récente signale que les régimes sans gluten chez les personnes qui y sont sensibles -mais non céliaques- ne présentent pas plus d’effets bénéfiques s’ils sont déjà sur un régime pauvre en FODMAPS. Intéressant ! Cela ne concerne toutefois que les symptômes gastro-intestinaux comme l’intestin irritable, la constipation, etc. Toujours un doute pour les maladies auto-immunes ?

* l’existence des exorphines, glutéomorphines mentionnées par Julien Venesson, suffit par exemple à comprendre comment on peut être drogué au blé, le tout faisant exploser le compteur calorique. L’explication par les circuits du plaisir et de la récompense fonctionne aussi (y compris la bière). Les aliments qui font manger plus font mal aux théories « psychologisantes » sur la nature du surpoids ; non il ne suffit pas, pas tout le temps, d’aller mieux dans sa tête pour mincir : certains aliments, comme le blé, sont peut-être à éviter pour ne pas enclencher un cycle de fringales auto-alimentées. Sans compter la piste inverse, plus que défendable : consommation de « mauvais » aliments => mauvaise santé mentale plutôt que mauvaise santé mentale => consommation de « mauvais » aliments. Cela mériterait l’objet d’un article à part.

Bonus : l’Observatoire du pain met en place des affiches dans les centres urbains, notamment sur les arrêts de bus, chacun jugera la pertinence ou non de ces affiches…Il y a même un blog officiel. Il m’arrive de temps en temps de manger du pain, notamment à l’extérieur, au restaurant, sans souffrir plus que ça des effets (n’étant pas céliaque, la faible dose ne semble pas agir), mais comment dire, on restera sceptique sur le but d’une agence destinée à promouvoir la consommation quotidienne de pain : c’est bien ce qui est visé derrière l’expression « Coucou ? Tu as pris le pain« . Chacun se fera son idée, son propre test (analyses médicales par exemple pour l’intolérance au gluten, mais parfois ça ne se voit pas dans le sang, seul le vécu par l’abandon total du blé peut statuer) sur la quantité de blé qu’il peut ingérer sans en souffrir.

Des affiches à peine orientées

12 réflexions au sujet de « Le snobisme sans gluten (2) »

  1. Mel de www.caloriepholie.com

    Salut Sylvain

    très bonnes réflexions…. C’est vrai que le gluten est de plus en plus incriminé… je connais beaucoup de mes auditées qui s’auto-proclament intolerante auprès de leurs famille pour avoir une excuse pour ne pas manger de feculents, sans être critiquée ou jugée d’obsedée des regimes, pour pouvoir perdre du poids… Sauf qu’à force d’exclusion, deux choses arrivent : dès qu’elles en remangent un peu, problème d’intestin si la perdiode d’exclusion a été longue, soit, comme tu le soulignes bien, elles ont des rages boulimiques et se jettent à corps perdu sur ce qu’elles ont soigneusement éviter….

    Pour ma part, comme je l’explique dans mon blog, j’etais été testée en 2000 et quelques, à l’epoque c t rare ces cas… et quand le pro m’a dit que j’allais devoir ne plus manger de gluten (ni lactose), je ne savais même pas de quoi il me parlait!! et quand il m’a expliqué.. j’en ai pleuré… pas une partie de plaisir, regarder les etiquettes etc…
    Un bien temporaire, parce que mon intolérance s’est développée à beaucoup d’autres céréales, toutes, même pommes de terres (oui, je cumule plusieurs intolerances, intestin « troué » :)).

    Bref, tout ça pour dire que contrairement à beaucoup, ce n’est pas un luxe de me priver de tout cela… si je pouvais, comme mon mari, me faire des tartines au beurre le matin… j’en rêve!!!

    mel

    Répondre
    1. Sylvain Auteur de l’article

      Tu peux toujours manger une tranche de beurre cru seule…pas pareil.
      Pour moi le pain, c’est surtout en fin de repas (festif), avec vin rouge, roquefort, refaire le monde. Bref je suis un vrai français. Mais…si j’abuse retour de bâton comme ça m’est arrivé dernièrement (et le pain, source traitre de sodium)

      Répondre
      1. Mel de www.caloriepholie.com

        Presque 🙂 Je beurre (lait cru :)) généreusement mon jambon !!! Gout du sandwich jambon beurre… sans pain, mais que veux tu, je me contente de joie simple depuis dix ans!!

        C’est quoi tes reactions si tu abuses? Pour ma aprt, je me rappelerai toute ma vue la seule fois où j’ai retenté le pain : vacances 2007 dans le sud, une corbeille de pain maison, avec l’odeur et tout le toutim… J’en ai mangé un bout… le bonheur…. et deux après je n’arrivais plus à respirer normalement, sensation de poumons compressés par un ventre qui avait triple de volumes…. bref, mon aventure culinaire s’est finie… aux Urgences!!

        mel

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  3. The Green Escape

    Salut Sylvain

    Excellent billet, j’ai encore appris plein de nouvelles choses sur le gluten. L’étau se resserre autour du gluten, on remarque déjà des modifications de plus en plus fréquentes dans la composition des produits alimentaires, je crois que les industriels commencent à prendre en compte le problème, car ils ont peur pour leurs profits. Comme toi, je constate qu’à faible dose une exposition n’est pas forcément remarquée, mais est-elle pour autant inoffensive. J’ai aussi lu le livre de Davis pas très convainquant, puis sa conclusion de manger du blé primitif me laisse perplexe. Il faut être très prudent dans ce domaine, d’ailleurs les protéines similaires au gluten dans les autres céréales ne sont pas sans effets sur l’organisme non plus.

    @+ Jean-Lou

    Répondre
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  5. Ping : Manger sans Gluten: Grave et Dangereux pour les Nutritionnistes Québecois | Dur A Avaler

  6. Coachnutrisport

    Ayant, lu ce livre à sa sortie, merci pour le résumé et d’avoir donné ton avis. Julien fait partie pour moi des auteurs bloggers de référence en nutrition et en sport actuellement. Grâce à sa fraicheurs il permet de réconcilier le savoir scientifique avec les sportifs et mr et mme tout le monde. bientôt son nouveau livre sur la nutrition paléo qui va j’en suis sur beaucoup nous aider

    Répondre
  7. Rovero

    merci – courage ! … il me semble personnellement que je devrais manger plus de viande et moins de céréales et de sucre – j’éternue à n’en plus finir dès que j’avale du pain, avec sensation d’oppression et impossibilité d’avaler … rapidement.

    Répondre
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