Prévu pour juin 2022, des “Mc Donald’s Holiday Sport Camps” vont voir le jour en Nouvelle-Calédonie soulevant d’importantes questions éthiques, sanitaires et sociétales.
Sommaire
Tous les partenariats sont-ils possibles ?
C’est la délicate question à laquelle les calédoniens ont été confrontés en découvrant le récent partenariat entre le plus célèbre des fast-foods, Mc Donald’s, et la principale organisation sportive calédonienne (Comité national olympique et sportif français, CTOS).
On apprend au détour d’un article laconique que l’essentiel de ce partenariat concerne la mise en place de camps de vacances sportifs pour juin 2022.
Des « Mc Donald’s Holiday Sport Camps » dans l’objectif de « promouvoir la pratique du sport auprès des jeunes » avec le regard bienveillant du revendeur de hors-d’œuvre riches en calories, en sucres, sels, viandes transformées, etc.
Sur la page Facebook des Cagous de Nouvelle-Calédonie, le surnom des sportifs en référence à l’oiseau emblématique et endémique du territoire, on observe au moins 3 types de réactions.
- La résignation. Le partenariat est jugé étrange, dérangeant, mais il faut bien trouver de l’argent pour les jeunes. Autrement dit : on fait avec ce qu’on a. D’ailleurs, on ne compte plus le nombre d’entreprises privées qui soutiennent le sport ?
- La chance. Peu importe le secteur d’activité, c’est forcément une bonne chose pour les jeunes, les sportifs. C’est gagnant-gagnant. Il n’y a pas vraiment grand-chose à rajouter.
- L’écœurement. Ici, point de salut pour le partenariat jugé contre-nature. L’association met mal à l’aise, rien ne va. On en payera les conséquences plus tard.
La réalité est probablement un mélange de ces trois sentiments.
Le sport : vecteur de bien-être en peine
Promouvoir une activité physique chez les jeunes est fondamental pour ancrer des comportements sains à long terme.
Les ravages de la sédentarité ne fait aucun doute.
Certaines études pointent même un risque accru pour la santé de la sédentarité par rapport au tabagisme.
Le sport est donc un levier de santé publique stratégique. Il permet aussi de faire du lien social entre les jeunes, les moins jeunes, les encadrants et de remobiliser des quartiers ou zones défavorisées.
C’est d’ailleurs dans ce contexte que les Kimonos du Cœur projettent de créer un dojo solidaire aux tours de Magenta pour apprendre la pratique d’un sport et du vivre ensemble. « Un espace de performance, un tiers-lieu pour le bien commun et les jeunes en difficulté » comme le décrit très bien Gaby Levionnois.
Mais tout cela demande de l’argent.
Et l’argent ne tombe pas du ciel.
Cela n’est pas une nouveauté pour la Nouvelle-Calédonie qui sort extrêmement endettée après deux vagues de covid-19. Les caisses sont vides nous dit-on, les restrictions budgétaires deviennent légions et les associations (sportives et autres) peinent.
Le CTOS n’a ainsi que deux partenariats privés à son actif, listés sur son site internet : la compagnie locale de transport aérien, Air Calédonie, et Air France. Essentiellement pour les voyages donc.
Intérêt privé et sport : une banalité
Que des sociétés privées s’immisce dans le sport n’est absolument pas une nouveauté.
Pepsi et Pizza Hut sont des partenaires de longue date de l’une des plus importantes et populaires compétition américaine dans le monde avec le Super Bowl.
Des moments rêvés pour partager des publicités bien ciblées… qui rapportent gros.
Pour la NFL surtout : 30 secondes de publicité ont coûté 6,5 millions de dollars.
Red Bull n’est pas en reste. La boisson énergétique riche en caféine et en sucres qu’on mélange allègrement avec de l’alcool, s’invite dans pratiquement tous les sports.
Course automobile ou moto, VTT, football, surf ou dans les airs avec les sauts en parachute et les hommes volants en flying suit.
Ce n’est donc pas une nouveauté mais cela ne signifie pas pour autant que c’est une bonne chose.
Car l’état de santé des populations occidentales, fortement soumises à la publicité et plus globalement à un environnement « obésogène », n’est pas bonne.
Pire, elle se dégrade au fur et à mesure. Les maladies dites de civilisation explosent : diabète, hypertension et maladies cardiovasculaires.
Dans certains pays développés, comme aux USA, l’espérance de vie recule pour la première fois. L’espérance de vie en bonne santé coïncide souvent avec le départ à la retraite. C’est la double peine.
Les raisons sont bien évidemment multiples : il est impossible d’accuser un responsable d’être la cause de tous nos maux.
Et sur le Caillou ?
En Nouvelle-Calédonie, les partenariats sport-privé sont aussi légion.
Les banques, les assurances, les papeteries… A peu près tout le monde sponsorise à un moment ou un autre une compétition sportive.
Les célèbres Groupama Race sont ancrées dans le paysage nautique calédonien. Tout comme la fameuse traversée de l’île au canard à la nage soutenue par la Banque Calédonienne d’Investissement (BCI).
On peut se dire : ouvrir un compte en banque est de toute façon obligatoire et n’est pas quelque chose de néfaste pour sa santé. Alors pourquoi pas.
Mais que peut-on dire d’un fast-food qui propose d’avoir un lien privilégié avec des jeunes pendant des vacances sportives ?
Ce n’est plus vraiment pareil.
L’alimentation : le rôle majeur pour la santé
Pourquoi ce partenariat est problématique ?
Car il s’inscrit dans un contexte local explosif.
La Nouvelle-Calédonie compterait plus de 20 000 diabétiques, soit 6 à 7 % de la population.
Le surpoids touche 30 % des adultes de 18 à 60 ans, contre 38 % pour l’obésité.
La situation sanitaire catastrophique se répercute sur les dépenses colossales en santé : 33 milliards de francs pacifique (soit 275 millions d’euros) sont dédiés aux longues maladies telles que les cardiopathies, diabètes, cancers, hypertensions ou insuffisances respiratoires.
Certains chiffres font froid dans le dos.
Le dernier baromètre de l’état de santé de la DASS (le « ministère de la santé » local) nous rappelle que :
- 41 % des adultes ne mangent pas de fruits et légumes quotidiennement à cause du prix et des problèmes d’approvisionnement
- 28 % consomment des boissons sucrées tous les jours
- Chez les adolescents, cibles privilégiées des Fast-foods, ce chiffre grimpe à 41 %
- Pour finir, 8 % des adultes et 25 % des adolescents consomment dans la journée plus de boissons sucrées que d’eau
L’état de santé de la dentition des enfants est aussi très inquiétant.
Autrement dit : personne ne peut dire que la situation calédonienne n’est pas très mauvaise.
Et c’est bien dans ce contexte que ce partenariat ne rassure pas.
Mais inquiète. Il inquiète car il confirme la très mauvaise trajectoire en matière de santé publique et de partenariat public-privé.
Car les Fast-foods (Mc Donald’s et Burger King) ont déjà savamment quadrillé la zone urbaine du caillou.
Comme je le détaillais dans un précédent article, les fast-foods se trouvent aux abords de nombreuses écoles élémentaires, collèges et lycées. Une clientèle avide de repas tout prêts, dont les comportements sont encore malléables.
En 2019, McDonald’s sortait des menus « back to school » à destination d’une cible qu’il est difficile de rater : les écoliers.
Un menu à seulement 700 F (moins de 6 euros) dont je soulevais les nombreux problèmes à la lumière des compositions nutritionnelles des aliments.
Pourtant, avoir une bonne alimentation est un gage d’améliorer significativement son état de santé et réduire son risque de mourir.
Les études internationales sont nombreuses et pointent le rôle de la malbouffe dans la mortalité cardiovasculaires notamment. Entre 20 et 40 % des décès cardiovasculaires prennent racine dans une mauvaise alimentation.
Associer sport et restauration rapide
L’objectif de McDonald’s est donc triple :
- Renforcer sa présence dans l’esprit d’un public très important, les jeunes
- Redorer l’image de la marque en soutenant l’activité physique, bonne pour la santé
- Associer l’idée de faire du sport et de manger dans leur restaurant
L’aubaine pour la chaîne de restauration rapide sera bien sûr conditionnée par les dispositions de l’accord de partenariat.
Auront-ils l’occasion de distribuer des repas tout droit sortis d’un McDonald’s ? Des boissons gazeuses et sucrées seront-elles distribuées ? Ou observerons-nous seulement des oriflammes et des pancartes géantes pour bien faire comprendre qui commande ?
Peu importe les conditions particulières, l’idée qu’on puisse manger déséquilibré avec des repas trop gras, trop sucrés, avec trop de viande et trop de sel sera allègrement excusé par la pratique d’une activité physique !
Ce sera aussi peut-être l’occasion rêvé de dédiaboliser certains ingrédients ou l’image « mal bouffe » de la marque.
En bref, tout est possible.
Les limites
Dans un pays comme la Nouvelle-Calédonie, les associations sportives et comités officiels sont des piliers d’une cohésion sociale, d’une meilleure santé physique mais aussi mentale.
Ce secteur devrait être une priorité de santé publique.
Malheureusement la réalité est différente. Les entreprises privées le savent bien et en profite pour s’associer à des événements sportifs.
Mais ce camp de vacances qui porte le nom d’une chaîne de restauration rapide et qui propose des plats en dehors de toutes limites nutritionnelles est un cas très inquiétant.
Beaucoup seront d’accord pour dire que la jeunesse, l’école ou les centres de vacances sont des sortes de sanctuaires qui ne doivent pas être sous la coupe d’intérêts privés.
Accepterions-nous que l’industrie laitière ou d’autres groupes qui revendent des « champagnes sans alcool » organisent ce type d’activité ?
C’est malheureusement le constat d’un gros problème de fléchage et de priorité dans le financement d’une société.
Pourtant la crise sanitaire de Covid a une nouvelle fois mis l’accent sur la terrible santé calédonienne et son risque face à l’infection.
Changer une société prend du temps. Elle nécessite des choix courageux sur du très long terme.
Alors je vous repose la question, tous les partenariats sont-ils possibles ?
3 commentaires
Arrivé à ce stade c’est dramatique d’associer le sport, les vacances des jeunes…. à la mal bouffe. Cela devrait tout simplement d’être interdit mais comme tout dans ce monde tourne autour du fric au détriment de la santé qui elle est également génératrice de fric……..Je suis dégoûté de ce qui arrive dans ce monde pourri !
Bonjour Jérémy.
Si on répond par la négative, ce qui serait assez spontané, à ta question, on doit alors aussi se poser celle du financement de la formation des médecins dans la majorité des pays occidentaux. Cette formation coûte en moyenne internationale de 300 à 500.000 € pour un généraliste, et de 750.000 à 1,2 M€ pour un spécialiste. Les contribuables sont-ils prêts à payer ces montants pour avoir des médecins publics et privés dont un certain nombre d’entre eux exerceront avec des honoraires plus ou moins libres ? Les états ont répondu par la négative et ont laissé le soin aux laboratoires pharmaceutiques et autres industriels du matériel de financer les études de médecine. Alors que McDo finance les camps pour enfant, les maisons de proximité pour les parents d’enfants hospitalisés, Coca des journées sportives voire les JO, et d’autres, les distributeurs de confiseries dans les lieux publics … certes, moralement, cela ne semble pas terrible. Mais probablement pas pire que la sur prescription de médicaments et d’examens, ou d’avoir une médecine majoritairement orientée sur le curatif au détriment du préventif ! Ce qui me semble en revanche intéressant dans ta question, c’est de savoir comment trouver aujourd’hui un équilibre entre ces financements et la santé publique du futur, pour amener ces sociétés à abandonner la malbouffe. Car dans 10 ou 20 ans, à priori l’Homme aura toujours besoin de se nourrir ! Et il paiera encore pour cela. Mais probablement pour une nourriture plus saine. Alors, le business sera toujours là …
bonjour Benoit,
Merci pour ce commentaire très intéressant. Pourriez-vous nous apporter quelques références et sources à vos affirmations sur le financement des formations des médecins en France (peut-être en Suisse ?) que l’on puisse se faire un avis et juger les éléments sur pièce.
On ne peut pas nier le problème de la médecine qui est principalement dans le curatif que le préventif… car je pense que c’est surtout principalement son rôle. Celui de soigner. La prévention ne fait pas vraiment des objectifs majeurs de santé publique et c’est un tord bien évidemment. Un gros travail doit être fait, et sur de longues périodes de temps, pour améliorer les campagnes de prévention de santé publique.
La formation ? Des métiers annexes ? Un vaste sujet bien délicat.