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À la manoeuvre : AlloDocteurs et une gynécologue-oncologue

L’objectif : Parler des risques du surdiagnostic du dépistage organisé du cancer du sein

La (mauvaise) réalité : Le surdiagnostic, on s’en fout en fait, le dépistage organisé est largement bénéfique.

La (bonne) réalité : Le dépistage organisé est sujet à controverse, entraîne beaucoup de surdiagnostics, ne réduit pas forcément la mortalité par cancer du sein et peut entraîner insuffisance cardiaque, cancer des poumons et maladies cardiaques…

“Avec le dépistage de masse, risque-t-on le surdiagnostic ?”

C’était l’une des questions posées par le couple Cymes/Carrère d’Encausse pour une gynécologue-oncologue de l’Institut Curie à Paris, le Dr Nasrine Callet. La réponse vaut son pesant d’or. Vous allez découvrir les neuf affirmations du professionnel de santé sur ce sujet très délicat et de plus en plus controversé. Des affirmations très discutables et qui me font clairement peur sur la capacité des professionnels de santé à remettre en cause des “on-dit” ou des savoirs académiques.

Au coeur d’une intox télévisée…

Affirmation n°1 : “On enlève de moins en moins les seins, notamment grâce au dépistage précoce”

Pourquoi c‘est faux ! Les mastectomies ne sont pas moins fréquentes grâce au dépistage précoce, c’est même tout le contraire ! Mais faudrait-il encore que le Dr Callet s’intéresse à la littérature scientifique. Une littérature qui n’est pas tendre avec le dépistage.

Par exemple, la fameuse Cochrane Library qui réalise des analyses indépendantes et très poussées des évidences scientifiques nous prévient que le dépistage augmente de 31 % le nombre de mastectomies et de tumeroctomie du sein, et de 20 % celui des mastectomies. 1

Le Dr Callet, et la rédaction d’AlloDocteurs, auraient également pu s’intéresser aux travaux de Charles Harding, et ses derniers résultats sur les effets indésirables de la mammographie 2. Des résultats qui dénoncent 24% de mastectomies en plus chez les femmes dépistées.

D’autres études internationales, comme celles de la revue Prescrire, mettent en avant l’augmentation des ablations des seins chez les femmes dépistées. 3

Bonjour la désinformation !

Affirmation n°2 : “Plus la maladie est dépistée tôt, moins les traitements sont agressifs.”

Pourquoi c’est inexact ! Le Dr Callet fait le pari que plus le cancer sera détecté de manière précoce (et donc de petite taille, selon eux, comme on va le voir dans l’affirmation n°4) et moins les traitements seront invasifs ou agressifs.

Ce n’est pas très pro Dr Callet de dire ça à la télé quand on sait que les mastectomies augmentent chez les femmes dépistées, même précocement. C’est d’autant moins pro que selon les données de la même synthèse de la revue Cochrane, les femmes dépistées subissent 34% de radiothérapie de plus que les autres !

Une pratique qui n’est pas sans risque puisque les auteurs de cette synthèse indépendante estiment que c’est particulièrement dangereux pour les femmes avec un faible risque comme celles à qui ont a trouvé un cancer par le dépistage. Ils précisent que cette pratique est dangereuse à cause des “dommages aux artères coronaires et au développement d’une insuffisance cardiaque” faits par certaines radiothérapies. En prime, et accrochez-vous bien, ils trouvent une surmortalité de 78 % par cancer du poumon et 27 % par maladies cardiaques chez les femmes à cause de la radiothérapie. C’est grave docteur.

Finalement, l’association Cancer Rose qui lutte contre ce genre de désinformation explique très bien qu’il y a une confusion entre “petitesse du cancer découvert et précocité de découverte”. L’association précise que :

“Un cancer de petite taille n’est pas synonyme de dépisté tôt, il peut être petit et être présent depuis de nombreuses années sans jamais se manifester. Une volumineuse lésion n’est pas, non plus, forcément tardive, elle a pu se développer en très peu de temps, ce qui est souvent le cas de ce que l’on nomme les cancers de l’intervalle. Ce sont ces cancers rapides qui sont souvent les plus agressifs, survenant après une mammographie normale et avant la suivante prévue deux ans plus tard. Le dépistage ne peut les anticiper.”

Alors Dr Callet, on essaye de se mettre à jour quand même ?

Affirmation n°3 : “Mais, le risque de surdiagnostic existe. Il ne faut pas le nier.”

Pourquoi ça mérite plus d’explications ! Je suis ravi que vous ne soyez pas touché par le négationnisme du surdiagnotic des mammographies de dépistage ! Mais quand même. J’ai les boules de voir une réponse aussi courte, saupoudrée d’un manque flagrant d’informer loyalement les femmes sujettes au dépistage.

Alors le surdiagnostic on ne va pas le nier, on va l’expliquer, chiffre à l’appui. Le surdiagnostic, c’est se faire traiter lourdement pour une tumeur qui n’aurait surement pas évolué vers un cancer invasif ou se faire traiter pour un cancer qui n’existe pas vraiment. C’est pas fun du tout. Les données les plus récentes et les plus sérieuses nous disent que sur 1.000 femmes dépistées pendant 20 ans, à partir de 50 ans et tous les deux ans, il y aura :

  • Entre 0 à 6 femmes sauvées grâce au dépistage, c’est cool, c’est le “bon” côté du dépistage
  • Au moins 19 femmes, ou 3.800 tous les ans en France, qui seront exposées au surdiagnostic (mastectomie, chimiothérapie, radiothérapie), c’est quand même moins cool, c’est le “mauvais” côté du dépistage

Entre 3 (le plus optimiste) et 19 fois (le moins optimiste) plus de surdiagnostics que de vie sauvée grâce au dépistage systématique. Voilà la réalité du surdiagnostic. Et je ne parle pas des faux positifs qui génèrent un stress psychologique important (et parfois des biopsies inutiles) chez des femmes sans cancer.

En fait, vous faites exactement ce que la grande Concertation Citoyenne a dit de ne pas faire : de la désinformation, avec un manque de transparence.

Affirmation n°4 : “Avec le dépistage de masse, on peut trouver de tout petit cancer du sein.”

Pourquoi c’est vrai, très ambigu, mais surtout dangereux ! C’est vrai, car c’est l’une des conséquences de la mammographie avec la détection de petites tumeurs, inférieures à 2 cm.

C’et ambiguë, car le Dr Callet laisse croire que la détection des petites tumeurs, et donc précoce (alors que ce n’est pas forcément vrai), permettrait d’améliorer la qualité du traitement, la survie… En bref, que du bonheur !

C’est dangereux, car justement ce sont ces petites tumeurs-là qui concentrent les effets indésirables du surdiagnostic ! Oui Dr Callet, il faudrait vraiment, et sérieusement, se remettre à jour ! Selon des travaux publiés en 2015 4 5, 2016 6 et 2017 7, la taille de la tumeur n’est pas un bon indicateur pour évaluer le pronostic, ou le devenir, d’une tumeur.

Dr Callet, ces travaux indiquent quand même que peu importe la taille de la tumeur, supérieure ou inférieure à 2 cm, les pronostics des femmes étaient le même pour des tumeurs avec des caractéristiques moléculaires favorables !

Ce n’est pas la taille qui compte ! Grand dieu ! Et ce genre de réponse donne vraiment l’impression qu’on fait au petit bonheur la chance, comme le Dr va nous le confirmer juste après…

Affirmation n°5 : “Mais, à l’heure actuelle, personne ne peut dire comment ces cancers vont évoluer.”

Pourquoi ça devrait inviter à plus de prudence ! C’est bien que l’évolution des tumeurs en cancers invasifs n’est ni linéaire, ni régulière, ni systématique. Des carcinomes in situ peuvent régresser, peuvent stagner, peuvent évoluer en cancer maladie. Des carcinomes invasifs peuvent se métastaser rapidement, stagner longtemps, régresser, etc.

Nos connaissances sur ce sujet évoluent sans cesse, mais on est sûr d’une chose, le modèle dit linéaire avec un carcinome in situ, puis un cancer invasif, puis un cancer métastatique puis la mort, à la base du dépistage actuelle, n’est pas le plus réaliste.

Ce point majeur aurait pu, non, il aurait dû être mentionné ! Mais on est plus à un manque d’information près !

Affirmation n°6 : “Dans le doute, vu la gravité de la maladie, on préfère les traiter.”

Pourquoi c’est dangereux (ENCORE !) ! C’est la suite logique de l’affirmation n°4, on préfère traiter les petites tumeurs…

  • même si on ne sait pas trop ce qu’elles vont donner;
  • même si on sait que ce n’est pas la taille qui compte;
  • même si le risque de surdiagnostic est le plus fort pour ces tumeurs;
  • même si c’est dangereux pour la vie de la patiente;
  • même si la littérature scientifique est claire sur ce sujet…

Au passage, on oublie de préciser que si le cancer invasif du sein est grave, il ne concerne que 4,2 % des décès chez la femme en France. Un risque absolu qui ne dédramatise pas cette terrible maladie, mais qui nous alerte sur les autres causes plus importantes de décès : maladies de l’appareil circulatoire (27 %), ou d’un autre cancer (20,3 %)…

Affirmation n°7 : “Le risque de surdiagnostic est quand même très faible par rapport au bénéfice.”

Pourquoi c’est faux ! On se demande bien avec quels chiffres le Dr Callet peut affirmer cela ! La grande Concertation Citoyenne sur le dépistage organisé concluait justement que “le déploiement national du DO depuis 12 ans n’a pas fait l’objet, en France, d’analyses épidémiologiques suffisamment poussées”.

À l’échelle internationale, cher Dr Callet, il existe justement une contestation du rapport bénéfice/risque puisque les risques sont sous-estimés et les bénéfices surestimés. La preuve est faite dans votre intervention à la télé où vous avez, volontairement ou non, négligé l’augmentation des mastectomies et radiothérapies, et le bénéfice faible sur la mortalité.

Justement, sur la mortalité, la fameuse synthèse de la littérature Cochrane publiée en 2013 nous indiquait que seulement trois essais cliniques étaient pertinents et méthodologiquement fiables pour estimer l’efficacité du dépistage sur la mortalité d’un cancer du sein. Des essais cliniques qui ne montrent justement aucun bénéfice sur la mortalité grâce au dépistage, avec 10 et 13 ans de recul.

Mais dans le détail, les auteurs de la publication Cochrane trouvent une réduction de 19 % du risque de mourir grâce au dépistage organisé si on tient compte des études méthodologiquement bancales… Mais 19 % de risque relatif, ça veut dire quoi en risque absolu ?

  • 4,2 % (risque absolu sans le dépistage organisé)
  • 3,4 % (risque absolu avec le dépistage organisé)

Voilà la réalité “absolue” du dépistage organisé (avec les études un peu biaisées…)

Finalement, quand on prend les chiffres les plus basiques, avec 19 femmes surdiagnostiquées contre 6 sauvées, le risque est-il “quand même très faible” ?

Affirmation n°8 : “Il ne faut pas oublier que, malgré les progrès thérapeutiques, 12 000 femmes décèdent chaque année d’un cancer.”

Pourquoi c’est presque inutile ! La question de base porte sur le risque de surdiagnotic et de surtraitement. Ils ont préalablement rappelé que 12.000 femmes en mourraient, pourquoi le rappeler ?

Affirmation n°9 : “Le dépistage permet d’éviter au moins 300 morts par an.”

Pourquoi c’est ridicule ! Comme dit dans l’affirmation n°7, l’une des études les plus sérieuses sur ce sujet estime que les essais cliniques les plus sérieux ne mettent pas en évidence un effet positif sur la mortalité jusqu’à 13 ans de suivi.

Sur les quelque 2,52 millions de femmes dépistées tous les ans pour le cancer du sein, celui-ci permettrait de sauver 300 vies ? C’est tout de même un peu faiblard quand on sait qu’au moins 3 800 subiront un surdiagnostic la même année.

Conclusion : AlloDocteurs récidive avec de la désinformation !

Ce n’est pas la première fois que la rédaction d’AlloDocteurs s’empare de ce sujet brûlant. Je pondais le 3 juillet dernier un article pour dénoncer la qualité douteuse de l’information donnée aux femmes sujettes au dépistage organisé.

Toujours de la même manière, l’information est incomplète, elle n’est pas loyale et fait encore moins état de la très sérieuse controverse scientifique, défendue par des publications scientifiques de plus en plus nombreuses et de haut vol, sur les bénéfices et les risques du dépistage organisé.

Dans cette nouvelle interview, nous avons les mêmes erreurs qui se répètent inlassablement au grand dam du devoir d’informer loyalement les patientes. Je suis surpris de voir une réponse aussi imprécise, fausse et évasive d’une gynécologue sur un sujet précis qui bénéficie aujourd’hui de nombreux chiffres et estimations pour en parler sérieusement.

L’association Cancer Rose qui fait un travail de titan contre cette désinformation n’est pas au bout de ses peines. Elle vient récemment de tacler l’Institut National du Cancer (INCA) qui vient de pondre une brochure d’information incomplète, “parfois contradictoire, tendancieuse, peu claire sur le surdiagnostic”, selon l’association.

On n’a pas fini d’en parler, et certains poursuivent une propagande aveugle pour des raisons qui m’échappent. C’est triste à lire.

Aller plus loin

Si vous souhaitez en savoir sur les risques et les bénéfices réels du dépistage du cancer du sein, lisez l’enquête inédite sur ce sujet “Cancer du sein : Les ravages du dépistage“. Une enquête factuelle, scientifique et humaine au coeur de la machine de santé en France et dans le monde.

Un must pour comprendre les enjeux des mammographies et prendre une décision éclairée, la vôtre.


Références

1. Gøtzsche, P. C., & Jørgensen, K. J. (2013). Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Library.

2. Harding, C., Pompei, F., Burmistrov, D., Welch, H. G., Abebe, R., & Wilson, R. (2015). Breast cancer screening, incidence, and mortality across US counties. JAMA internal medicine, 175(9), 1483-1489.

3. Dépistage des cancers du sein par mammographies Troisième partie Diagnostics par excès : effets indésirables insidieux du dépistage. Rev Prescrire. 35(376):111–8.

4. Hudis, C. A. (2015). Biology before anatomy in early breast cancer—Precisely the point. New England Journal of Medicine, 373(21), 2079-2080.

5. Sparano, J. A., Gray, R. J., Makower, D. F., Pritchard, K. I., Albain, K. S., Hayes, D. F., … & Zujewski, J. (2015). Prospective validation of a 21-gene expression assay in breast cancer. New England Journal of Medicine, 373(21), 2005-2014.

6. Welch, H. G., Prorok, P. C., O’Malley, A. J., & Kramer, B. S. (2016). Breast-Cancer Tumor Size, Overdiagnosis, and Mammography Screening Effectiveness. New England Journal of Medicine, 375(15), 1438-1447.

7. Lannin, D. R., & Wang, S. (2017). Are Small Breast Cancers Good because They Are Small or Small because They Are Good?. New England Journal of Medicine, 376(23), 2286-91.

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1 commentaire
  1. Révoltant. On va continuer à dépister bien sûr…. Mais un jour la flambée des mastectomies va sauter à la figure de tout le monde. On ne pourra pas raconter des badernes sempiternellement aux femmes.

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