La valeur nutritive d’une pomme aujourd’hui ne vaudrait pas grand-chose par rapport aux productions d’il y a 50 ou 70 ans. Certains disent qu’il faudrait manger 100 pommes pour obtenir la même quantité de micronutriments qu’une pomme “d’avant”.
Est-ce un mythe ou une réalité bien documentée ? Enquête.
Sommaire
Alimentation carencée
Notre alimentation ne suffirait plus.
Vous faites pourtant attention de manger un peu de tout ? Des légumes verts, de la salade, des tubercules, avec une belle portion de légumineuses pour ses précieuses fibres ? Sans oublier les huiles végétales, le beurre, et les oeufs qui regorgent de vitamines et minéraux ?
Malgré tous vos efforts, vous n’arriverez probablement jamais à satisfaire les innombrables besoins de votre organisme. En fer, manganèse, sélénium, potassium, zinc, oméga-3 ou le précieux calcium pour avoir des os solides.
La cause ? Tous nos aliments modernes sont désormais tellement appauvris en nutriments qu’il faudrait manger de quantité exceptionnelle pour satisfaire nos besoins primordiaux.
Cette observation expliquerait :
- L’épidémie d’obésité dans le monde, où nos organismes recherchent désespérément des nutriments (à cause des calories vides)
- Les nombreuses carences qu’on observe dans le monde
Mais comment pourrait-il être possible ?
- A cause de notre société industrielle ultra-productiviste, dit-on. On fait principalement des monocultures intensives avec des engrais chimiques, bien loin des principes de la permaculture.
- Les variétés aussi. La sélection par la main de l’homme pourrait être à l’origine d’une érosion des micronutriments essentiels à notre santé afin de favoriser le sucres et d’autres qualités gustatives.
- On récolterait aussi beaucoup trop tôt. La faute à la mondialisation et l’industrialisation de masse. Car les bananes des Antilles doivent être acheminer encore vertes en Europe (sans parler de la pollution gravissime au chlordécone).
- Les sols sont ainsi appauvris et dépourvu d’une vie animale satisfaisante pour (vers de terre…) rendre les nutriments disponibles aux cultures
Des observations qui font les beaux jours des laboratoires qui revendent pour des milliards d’euros des compléments alimentaires dont l’intérêt est largement discuté et discutable. Des gélules, des ampoules ou des gommes à mâcher pour les enfants…
Ce serait une nécessité.
Mais tout cela est-il fondé ?
Sur quoi s’appuient les sites et articles pour statuer que nos fruits et légumes sont 20 voire 100 fois moins riches qu’auparavant ?
Comme souvent, ces articles s’appuient sur plusieurs publications scientifiques – ce qui est une excellente chose – mais omettent d’analyser en détail les résultats desdites études.
Ils omettent également de les mettre en perspective.
Où sont passés les nutriments ?
Ce sujet est loin de laisser les scientifiques indifférents.
Plusieurs études ont été publiées ces dernières années avec pour objectif de comparer l’évolution des concentrations en minéraux et certaines vitamines d’une variété plus ou moins grande de fruits et légumes.
Toutes ces études montrent que globalement, depuis 50 à 70 ans, la concentration de la plupart des minéraux a chuté au cours du temps. Une perte en nutriment qui varie principalement entre 5 % et 40 %, et parfois plus pour certains minéraux.
Les résultats sont réellement contrastés entre les publications. Par exemple, Anne-Marie Mayer, une chercheuse indépendante basée au Royaume-Uni, ne trouve aucune différence dans les concentrations de calcium, de phosphore ou de sodium des fruits.
Aucune différence non plus de concentration en fer, potassium et phosphore des légumes sélectionnés dans les études.
Mais devant tous ces résultats, qui utilisent en partie le même jeu de donnée, le chercheur Donald Davis de l’Institut de Biochimie de l’université du Texas a réalisé une synthèse et de nouvelles analyses plus conservatives des données.
Les résultats de son travail montrent plusieurs choses :
- Nous observons bien une baisse de la concentration de certains minéraux, vitamines et acides aminés dans les fruits et les légumes ;
- Ces baisses restent inconsistantes, moyennement très faibles, et soumises à une interprétation vigilante.
Par exemple, en réanalysant les données de l’étude de White et Broadley publiée en 2005, Donald Davis ne retrouve plus aucune baisse des principaux minéraux pour les 38 fruits examinés.
Sur 26 légumes de ce même jeu de donnée, on retrouve une baisse significative uniquement pour le sodium (≈ 30 %) et le cuivre (≈ 75 %).
Une étude finlandaise s’est penché sur la question.
Elle retrouve en moyenne une baisse de 3% des nutriments dans des variétés de fruits, de légumes et de céréales. Les analyses plus fines montrent des disparités en fonction des éléments, comme la forte baisse de nickel et cadmium mais l’augmentation de plomb et calcium.
L’étude finlandaise n’est pas indépendante. Elle a été financée par l’industrie agroalimentaire qui a tout intérêt à montrer que les aliments d’aujourd’hui sont toujours aussi gorgés de vitamines et minéraux !
Pour autant, est-ce que nous pouvons nous baser rigoureusement sur ces travaux ? La réponse est que nous n’avons pas le choix. Ce sont les seules études historiques qui proposent ce genre d’analyses .
L’ensemble des travaux conviennent pour pointer du doigt certaines limites quant à l’interprétation des résultats.
Il pourrait y avoir des problèmes à cause des changements et des améliorations des méthodes de laboratoire pour isoler des éléments. Selon Donald Davis, il y a fort à parier qu’il faudrait voir les estimations passées à la baisse à cause des impuretés et autres contaminants.
Aujourd’hui, nos méthodes sont plus fines et permettent d’isoler avec précision un minéral.
La perte en nutriment pourrait donc être plus faible que prévu.
Suffisamment faible pour ne pas inquiéter Robin Marles, à l’origine d’une synthèse récente sur ce sujet. Si ce dernier parle d’une possible dilution de certains nutriments, les baisses relatives sont faibles en valeurs absolues.
Fertilisation des sols et productions intensives
Selon Donald Davis de l’Institut Biochimique de l’université du Texas, si les données historiques sont de faibles à moyennes qualités, plusieurs autres évidences scientifiques doivent nous alerter sur l’érosion potentielle des nutriments dans nos fruits et légumes.
Tout d’abord il rappelle dans sa synthèse sur ce sujet que les études princeps sur l’utilisation des fertilisants en agriculture ont montré un effet “dillution” des minéraux.
Comprendre que plus l’on utilise de fertilisant pour augmenter les rendements, moins on retrouve nutriments dans les productions végétales.
Ensuite, et c’est le 3ème niveau de preuve (si on rajoute les preuves historiques), des études rigoureuses qui ont comparé la teneur de certains nutriments en fonction du type d’agriculture (intensif versus non intensif) montrent systématiquement une perte de minéraux et de protéines avec l’augmentation des rendements.
Nous n’avons que peu d’études de ce type. Elles ont principalement été conduites sur les brocolis, le blé et le maïs. Toutes montrent une perte des nutriments ciblés (uniquement le calcium et le magnésium pour le brocoli) avec l’augmentation de la taille des cultures et des rendements.
Ces chercheurs observent que cette recherche du rendement entraînerait donc une dilution des minéraux intéressants pour l’homme, avec un enrichissement en hydrate de carbone des productions végétales. On perd des nutriments pour des glucides en sommes.
Et mise à part le brocoli ?
D’autres chercheurs ont réalisé les mêmes expériences avec le blé, et trouvent globalement les mêmes résultats. Plus le mode de production est intense, plus on observe une perte de certains minéraux.
Sur les 6 minéraux mesurés, les auteurs observent une perte de 0.20 à 0.33 par an, équivalent à 22 % et 39 % de baisse sur un siècle.
Les leçons à retenir
Ces résultats doivent être selon Donald Davis reproduits à plus grande échelle pour apporter une réponse scientifique et sérieuse sur l’érosion, ou l’effet de dilution, des nutriments dans nos fruits et légumes.
Ces résultats questionnent également sur le rôle délétère des modèles productivistes intensifs de notre nourriture, aussi bien dans la production végétale qu’animale.
Mais la science tente toujours de trouver des solutions, surtout pour maintenir son modèle actuel et productiviste. Des travaux montrent l’intérêt de “supplémenter” les sols – plutôt que les humains – pour augmenter la concentration des minéraux essentiels au fonctionnement de nos organismes.
Bien sûr, aujourd’hui nous n’avons aucune étude ou résultat qui pourrait nous faire dire qu’une pomme d’il y a 50 ou 70 ans vaudrait 100 pommes d’aujourd’hui.
2 commentaires
Quand je préconise une supplémentation en sélénium (sous la forme de noix du Brésil) dans un commentaire d’un autre article, c’est dans le cadre de la consommation d’aliments bio, donc sans épandage de produits contenant cette molécule.
Bonjour Jérémy,
Quand on entend qu’un fruit “d’avant” équivaut à 100 fruits d’aujourd’hui, on évoque généralement plutôt la baisse des vitamines (notamment vitamine C). Or vous n’évoquez que les minéraux dans cet article.
Qu’en est-il des vitamines ?
Par ailleurs, je trouve étonnant que les études fassent une moyenne des différents minéraux en prenant en compte les taux de plomb par exemple, dont l’augmentation n’est pas particulièrement souhaitable, et provient davantage de la pollution que de la richesse des sols et des fruits.
Merci d’avance pour votre réponse.