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La communication de l’INCa sur le dépistage organisé du cancer du sein souffre de nombreuses lacunes et manques d’informations. Une étude récente le révèle tout en le minimisant.

Mammographie de dépistage : des risques et des bénéfices

Les mammographies de dépistage sont utilisées pour détecter le plus rapidement possible, le plus précocement possible, chez des femmes sans symptômes, des cancers du sein pour réduire la lourdeur des traitements (comme les ablations du sein ou des traitements chimiothérapeutiques), réduire la mortalité du cancer du sein et augmenter bien sûr les chances de survie.

Ça, c’est la théorie. Car le dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de 50 à 74 ans est sous le coup d’une controverse scientifique de plus en plus sérieuse et gênante pour les autorités de santé (l’Institut national du cancer, INCa) qui font la promotion du dépistage, les yeux fermés, sans émettre le moindre doute ni informer correctement les femmes.

Découvrez ou redécouvrez le scandale des “mammobiles” qui proposent des mammographies dès 40 ans pour être “rentables”.

Justement, des doutes, il y en a beaucoup. De nombreuses études scientifiques (dont les fameuses méta-analyses du groupe indépendant Cochrane) décrivent un dépistage pas si bénéfique que ça pour la santé des femmes, avec un risque important de détecter et de traiter des petits cancers qui n’auraient jamais fait parler d’eux. Des cancers que vous n’auriez jamais entendu parler, mais qui, une fois sous l’oeil des radiologues, changeront à jamais la vie des nouvelles cancéreuses.

Ce sont les terribles cas de surdiagnostics et de surtraitements, parfois niés par des professionnels de santé (comme je le dénonce dans mon ouvrage pour le cas du dépistage du cancer de la prostate), ou mal nommé par l’INCa, qui entachent inévitablement les bénéfices du moindre dépistage.

Car les bénéfices des mammographies de dépistage s’effritent à mesure que les années passent. La mortalité par cancer du sein n’est pas réduite, ni la mortalité générale dans la population pourtant dépistée. Les ablations du cancer du sein, l’acte chirurgical le plus mutilant et lourd dans la vie des femmes, n’ont pas diminué chez les les dépistées selon les analyses du collectif indépendant Cancer Rose.

Un poil à gratter pour l’INCa qui dénonce des campagnes de communications parcellaire, laconique, avec de belles promesses et des bénéfices d’un côté… Mais rien de l’autre. Le collectif a été créé pour pallier ce manque d’information objective. C’était par-dessus tout la volonté des femmes et des scientifiques, qui a été gravée dans le marbre lors de la grande concertation sur ce dépistage.

INCa : épinglé mais épargné ?

C’est dans ce contexte d’accès à une information complète, loyale et objective qu’une étude vient d’être publiée pour, disons-le clairement, trancher dans le lard (2). L’objectif de ce travail mené par 4 chercheurs français basés à Saint-Étienne et à Lyon était “de déterminer si les sites de l’INCa et de Cancer Rose répondaient aux critères d’outils d’aide à la décision.”

J’avais déjà épinglé par le passé le nouveau site de présentation du dépistage organisé de l’INCa. Un site aux allures de propagande plutôt que d’information complète et loyale.

Les auteurs ont donc passé en revue tous les supports de communication de l’INCa et de Cancer Rose (dépliants, brochures, études, articles, dossiers de presse, vidéos, etc.) en partant du principe que l’information de l’INCa est incomplète selon le collectif de médecins indépendants.

Cette étude est une bonne chose. C’est un travail supplémentaire pour poser des éléments tangibles sur la table, sur la qualité de l’information autour du dépistage organisé du cancer du sein. Pourtant, ce travail pose de sérieuses questions d’honnêteté intellectuelle et scientifique.

L’étude est laconique, orientée et présente ses résultats d’une manière que le défaut d’information de l’INCa ne soit pas trop flagrant, et pire, que l’INCa soit épargné, blanchi de tout soupçon de désinformation. L’institution apparaît presque comme protégé par les auteurs, ce que dénonce Cancer Rose avec des preuves de conflits d’intérêts. On y reviendra.

Que disent les résultats de cette étude, et qu’en disent les scientifiques à l’origine de ce travail ?

Le terrible défaut d’information de l’INCa

Xavier Gocko et ses collègues ont utilisé la grille d’évaluation IPDAS1 pour classer et noter les différents supports d’information de l’INCa et de Cancer Rose sur le dépistage du cancer du sein.

Trois grandes catégories émergent :

  • Les critères présents, qui doivent être les plus nombreux

  • Les critères incomplets, qui doivent être les moins nombreux

  • Les critères absents, qui doivent être les moins nombreux également

Un tableau plutôt indigeste regroupe l’ensemble de ces résultats en comparant les deux sources d’information officielle et officieuse sur le dépistage organisé du cancer du sein. Je vous laisse juger par vous-même la présentation des résultats. La faute revient surtout au cadre académique, mais heureusement pour vous, on peut tourner ces résultats sous des formes plus visuelles.

Tableau de présentation des résultats de l’étude… plutôt indigeste.

Voici les principaux graphiques qui illustrent comment l’INCa ne remplit pas sa principale mission d’informer loyalement et complètement les femmes, et comment le collectif Cancer Rose peut se réjouir de compléter cette source d’information.

Résultats principaux de l’étude de Gocko et al. 2019 sur l’évaluation de la qualité de l’information sur le dépistage organisée du cancer du sein. On voit clairement que l’INCa informe peu et mal les femmes sujettes au dépistage.

Sur l’ensemble des supports, Cancer Rose bat à plat de couture l’INCa. Seulement 28% de critère IPDAS présent dans les supports de l’INCa, contre 50% pour Cancer Rose. On atteint au total près de 73% de critères incomplets ou absents pour l’INCa contre 50% pour Cancer Rose.

Le classement des différents supports en fonction du pourcentage de critères présents et incomplets place quasi systématiquement Cancer Rose devant l’INCa. Un résultat flagrant sous forme de graphiques, pas si clair sous forme de tableau, et encore moins dans la discussion des auteurs.

Classement de tous les supports analysés par l’équipe de recherche en fonction du pourcentage de critères IPDAS présents et incomplets. Les supports de Cancer Rose arrivent pratiquement tous devant ceux de l’INCa, avec une mention très défavorable pour la vidéo de l’INCa (voir texte pour plus d’information).

Une discussion dont l’objectivité interpelle. Une discussion gênante, très gênante.

Pour rappel, les chercheurs sont partis du principe que l’information de l’INCa était incomplète d’où l’existence de Cancer Rose.

En toute logique, cela devrait être le premier point de la discussion. Les scientifiques ont bien démontré que l’information proposée par l’INCa est incomplète (45%) avec un pourcentage d’absence presque inacceptable (28% contre 19% pour Cancer Rose).

Mais la discussion prend un sens totalement différent. Un sens, volontairement ou non, ambigu qui tend à faire croire que l’INCa fait mieux que Cancer Rose. Jugez sur pièce.

Les documents répondant le plus aux critères IPDAS sont le livret d’information et le dossier de presse pour l’INCa et la rubrique études pour Cancer rose.”

Pourtant, si on regarde le classement de tous les supports, le dossier de presse et le livret d’information de l’INCa arrivent à la 5ème et 6ème place, respectivement. Les quatre premières places sont occupées par les supports d’informations de Cancer Rose.

Pourquoi les auteurs de l’étude ont-ils choisi de présenter les résultats sous cette forme ?

Mais ce n’est peut-être pas le plus grave et dérangeant. Les auteurs vont même jusqu’à renier leur propre résultat pour sauver l’image de l’INCa et ternir celle de Cancer Rose. Ce point de rupture concerne l’analyse des deux vidéos publiés par l’INCa et Cancer Rose.

Voici ce qu’en disent les auteurs de cette étude :

La vidéo de l’INCa obtient un score de 6,3 % en termes de contenu versus 50 % pour celles de Cancer Rose. Malgré son score de 50 %, la vidéo est apparue orientée aux chercheurs mettant plus en avant les inconvénients/risques que les bénéfices/avantages.”

Les auteurs admettent donc, mais sans le dire clairement, que la vidéo de l’INCa est incroyablement peu informative, avec seulement 6% des critères IPDAS présents, contre 50% pour celle de Cancer Rose, indiquant donc que la vidéo de Cancer Rose informe largement mieux les citoyennes que l’INCa.

Mais les auteurs choisiront de tacler Cancer Rose pour une vidéo, semble-t-il, “orientée” et mettant davantage en avant les risques que les bénéfices. Improbable contradiction avec leur propre analyse qui jette un sérieux doute sur l’honnêteté scientifique de ce travail. Car les auteurs ne prendront pas la peine de préciser que la vidéo de l’INCa insiste lourdement sur les bénéfices au détriment de tous les risques.

En réalité, les auteurs de ce travail ne prennent même pas la peine de répondre à la question scientifique de départ, dont l’objectif était de déterminer si les sites de l’Inca et de CR répondaient aux critères d’outils d’aide à la décision.”

Est-ce que l’INCa, avec une communication globale qui ne contient que 28% des critères pour l’aide à la décision des patients (contre 50% pour Cancer Rose), répond aux critères d’outils d’aide à la décision ? La réponse est non. L’institut échoue dans cette tâche, mais le courage a manifestement manqué pour l’écrire noir sur blanc.

Est-ce que Cancer Rose y répond ? Pas complètement non plus, mais fait bien mieux que l’Institut National du Cancer.

Plus grave, avec seulement 6% de critères IPDAS présente dans la vidéo de l’INCa, cette dernière apparaît plus comme une vidéo de propagande qu’une vidéo éducative pour informer loyalement les citoyennes. C’est pourtant le support qui touche le plus facilement les populations. Autrement dit, le pire support de l’INCa bénéficie presque de la meilleure visibilité et viralité. C’est grave.

Une présentation fallacieuse des résultats. Concernant les critères incomplets. Les auteurs précisent ceci :

“Le document présentant le plus grand nombre de critères incomplets était la plateforme web à égalité avec le dépliant d’informations (50 %) pour l’INCa et la présentation à égalité avec le dépliant d’informations pour Cancer rose (37,5 %).”

Mais la lecture complète des données montrent surtout que tous les supports de l’INCa ont le plus d’informations incomplètes (45%) (mais aussi absentes) comparées à celles de Cancer Rose (31%).

Des conflits d’intérêts avec l’INCa ?

Cancer Rose s’est épanché d’un article pour dénoncer une situation “incompréhensible”, où “les conclusions de cet article dans la seule revue d’épidémiologie et de santé publique qui existe en France soient en contradiction avec le contenu de l’article.”

Une situation “surprenante” pour le collectif qui s’expliquerait par les liens d’intérêts de l’auteur principal de l’auteur, Xavier Gocko, avec l’INCa.

Dans une vidéo publiée par le Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE) le 12 janvier 2019, on apprend à travers la voix du docteur Cédric Rat que la plateforme DEDICACES – dont fait partie Xavier Gocko – reçoit de l’argent… de l’INCa !

Le Dr Rat présente le projet DEDICACES qui doit proposer un outil dans la décision partagée dans le cadre du cancer du sein, et notamment de son dépistage. Au terme de sa présentation, il semble confesser à son auditoire que “pour ne rien vous cacher, on a présenté cette méthode et ce projet dans son ensemble à l’INCa, et à ce jour, ils nous ont accordé un financement jusqu’à la création de l’outil.”

Xavier Gocko est donc bel et bien dans une situation très périlleuse où il est en charge d’évaluer la qualité de l’information de son principal soutien financier dans le cadre du projet DEDICACES.

L’étude DEDICACES apparaît d’ailleurs officiellement sur le site internet de l’INCa dans la catégorie “Dépistage” ayant reçu le soutien de l’institut du cancer français, avec d’autres projets.

Capture d’écran du site de l’INCa avec la présentation des projets financés par l’institut. On peut voir le projet DEDICACES avec le porteur de projet, le docteur RAT.

INCa : un devoir d’information ?

L’étude française montre le fossé déroutant, et presque inacceptable, entre la qualité et la rigueur de l’information officielle, délivrée par l’INCa, et officieuse, délivrée par un collectif de professionnels de santé indépendants avec des moyens techniques et financiers autrement moins importants.

L’INCa devrait pleinement jouer son rôle d’institut neutre et loyal envers la population française afin de présenter clairement, sans ambiguïté ni vidéo édulcoré, les avantages et les bénéfices d’une pratique médicale. Dans notre cas, le dépistage organisé du cancer du sein souffre d’une maladie d’omissions de l’information, surtout des risques : surdiagnostics, surtraitements, faux positifs, stress psychologiques, désordres émotionnels et professionnels, suicides…

Pourtant, deux essais cliniques randomisés sur la question de la qualité de l’information donnée aux femmes sur le dépistage, et leur intention d’y participer, démontrent clairement que la présentation complète et loyale des risques ne détourne pas les femmes d’aller se faire dépister (voir l’étude de Jolyn Hersch publiée en 2017 et celle de María José Pérez-Lacasta publiée en 2019)

Ces travaux nous montrent qu’il faut impérativement arrêter avec ce paternalisme médical en limitant l’accès à des informations médicales parfois complexes et dures en pensant aux biens de patients.

Bien informée, les femmes sujettes aux mammographies de dépistage s’estiment être mieux armés pour prendre une décision, en appréhendant mieux la balance bénéfices/risques, tout en conservant une forte adhésion au programme. Il manque toutefois des travaux de ce type mené sur un échantillon de Françaises.

On pourra alors toujours se demander pourquoi l’étude française a-t-elle été aussi tendre avec l’INCa, et l’a, semble-t-il, épargnée d’une critique pourtant justifiée ?


Note

1. International Patient Decision Aids Standards : http://ipdas.ohri.ca/

2. Gocko, X., Fondacci, M., Dibi, C., & Plotton, C. (2019). Information autour du dépistage organisé du cancer du sein. L’INCa et Cancer Rose répondent-ils aux critères des outils d’aide à la décision?. Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique.

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1 commentaire
  1. La propagande pour les “dépistages” est évidemment au service de tous ceux qui vivent de la sur-médicalisation des pathologies visées.
    Bien que la déontologie interdise explicitement de pratiquer la médecine comme un commerce, l’idéologie fallacieuse du dépistage précoce systématique profite à toute une industrie, et jouit d’une illusoire popularité, que ne manquent pas d’exploiter les décideurs soucieux d’image et avides de suffrages.
    Les cancers en particulier sont évidemment un énorme marché. Il enrichit ceux qui dépistent à tour de bras, ceux qui traitent sans limite et ceux fabriquent appareils et médicaments.
    Qui plus est, le dépistage s’auto-justifie en publiant des statistiques totalement ineptes, démontrant que plus l’on identifie de cancers qui ne le méritaient, plus évidemment les pourcentages de survie s’améliorent ! La réalité est que la mortalité en nombre absolu reste inchangée, et que la politique de dépistage n’a entraîné que des coûts et des souffrances inutiles.
    Il est essentiel de revenir à une médecine raisonnable, qui recherche des pathologies en fonction d’un contexte qui le justifie. Dans des circonstances épidémiologiques particulières, des campagnes de dépistage ciblé peuvent parfois être justifiées , mais elles ne le sont jamais dans la population générale et de manière continue.
    En revanche, les médecins doivent être mieux formés à exercer leur activité de détection des pathologies, par une prise en charge plus attentive et mieux personnalisée de chacun de leurs patients.

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